Les Émirats arabes unis, promoteurs du retour en grâce du régime syrien
Le 32e Sommet des chefs d’État de la Ligue arabe qui s’est clôturé le 19 mai dernier à Djeddah, en Arabie saoudite, a remis Bachar al-Assad sur le devant de la scène. Mis au ban de la communauté internationale depuis 2011, le président syrien bénéficie désormais de soutiens de poids dans le monde arabe.
Les compagnons de route de Damas
Outre l’Arabie saoudite qui joue les bons offices, les Émirats arabes unis travaillent ardemment à la réhabilitation du régime syrien avec, entre autres, une invitation à la prochaine COP28 qui se tiendra à Dubaï en novembre 2023.
En 2011, la Syrie est secouée par de grandes manifestations contre le pouvoir. Une remise en cause du régime, soutenu notamment par les Émirats arabes unis. Ces derniers iront même jusqu’à armer certains groupes rebelles une fois la guerre civile éclatée. La rupture entre ces deux autocraties n’est toutefois que passagère. En effet, sept ans plus tard, en décembre 2018, les Émirats décident de la réouverture de leur ambassade à Damas. L’engagement et les premiers succès de la Russie et de l’Iran en Syrie n’y sont pas étrangers.
Les liens entre les deux pays n’ont jamais vraiment été rompus. La fédération émiratie a en effet accueilli des avoirs financiers et des figures du régime, comme la mère et la sœur d’Assad. Les Émirats ont par ailleurs, encore récemment, apporté un soutien militaire au régime syrien. Comme le révélait Orient XXI, en 2020, Abou Dhabi a relancé ses liens sécuritaires avec Damas en proposant des formations destinées aux agents de renseignement syriens.
Une réintégration menée progressivement depuis 2022
En mars 2022, le président syrien est reçu aux Émirats arabes unis par Mohammed ben Zayed Al Nahyane (MBZ). Il s’agit de sa première visite dans un pays arabe depuis 2011. Le président émirati ne prononce pas un mot sur la guerre civile et les crimes de guerre du régime. L’évènement se déroule pourtant trois jours après la date anniversaire des soulèvements. Un an plus tard, Assad, cette fois accompagné de sa femme, a le droit aux honneurs militaires à Abou Dhabi. Cette visite permet aux Émirats de faire des déclarations d’amitié et d’affirmer : « La Syrie est un pilier de la sécurité arabe. La stabilité en Syrie est une bonne chose pour tout le monde. ». Les responsables émiratis vont jusqu’à faire part à leur homologue de “leurs vœux sincères pour la paix, la sécurité, la stabilité et la prospérité”.
Toutefois, l’événement qui a véritablement accéléré la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe est sans conteste l’exploitation très politique du séisme du 6 février dernier. Les pays de la Ligue arabe ont envoyé des fonds et des aides, notamment à Erbil, dernière ville rebelle. Pour venir en aide à la population, les donateurs n’eurent pas d’autre choix que de passer par le régime. Sur les 120 avions envoyés, plus de la moitié l’ont été par les Émirats. Tout cela assorti d’un soutien financier de 100 millions de dollars.
Deux semaines plus tard, Oman reçoit Bachar al-Assad. Il s’agit du seul pays du Golfe à avoir maintenu son ambassade ouverte tout au long de la guerre. Quelques jours plus tard, le 19 février, le chef de la diplomatie saoudienne, Fayçal ben Farhan, emboite le pas. Il déclare, lors de la conférence de sécurité à Munich, que le consensus pour le statu quo vis-à-vis de la Syrie ne fonctionne plus.
Bachar al-Assad au service des ambitions émiraties
Si l’intérêt d’Assad est aisé à comprendre, les raisons qui poussent MBZ à ramener le régime syrien dans le giron de la Ligue arabe sont multiples. Officiellement, le président des Émirats voit cette réintégration comme une volonté de voir « la paix et la stabilité prévaloir en Syrie et dans l’ensemble de la région ». Toutefois, cette stratégie est aussi motivée par la rivalité du pays avec son voisin chiite. C’est d’ailleurs ce qui a poussé, dans un premier temps, le régime à soutenir les manifestants. Il y ont vu l’occasion de soustraire le pays à l’influence des Iraniens. Un objectif que les Émirats poursuivent toujours, probablement en vain, tant les réseaux iraniens en Syrie sont importants. Mais l’Iran n’est pas le seul pays visé par ce soutien affiché à la Syrie.
A l’heure du désengagement des États-Unis de la région, les Émirats souhaitent s’affranchir de leur tutelle. Cela s’est notamment manifesté par une diversification des alliances via des accords de coopération avec la Chine et la Russie. Malgré les sanctions votées par les États-Unis et l’Union européenne, le commerce bilatéral avec la Syrie s’est développé grâce aux hommes d’affaires syriens et aux entreprises qui ont profité de la position de Dubaï en tant que centre financier pour accéder aux marchés mondiaux. Exemple parmi tant d’autres : l’ASM International Trading de Samer Foz, accusée par le Trésor américain d’avoir tenté de contourner les sanctions contre le régime syrien, est une entreprise basée aux Émirats arabes unis. Pour Abou Dhabi, se positionner en « parrain » d’Assad en plein retrait américain, c’est prendre un avantage stratégique sur ses voisins.
Enfin, le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe doit permettre aux Émirats de se positionner comme médiateur. Il s’agit ici de la rivalité entre les Émirats et l’Arabie saoudite pour être considéré comme une puissance régionale. Contrairement aux Saoudiens, les Émirats n’ont pas à se soucier de leur opinion publique. Une liberté qui donne lieu à une realpolitik plus forte. En effet, les nationaux ne constituent que 11,9% de la population.
La nouvelle arme syrienne
Plus surprenant, des raisons sanitaires sont susceptibles de contribuer à un rapprochement entre les pays de la Ligue arabe et le régime syrien. Selon Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie, le pays est devenu un narco-État. Les cercles du pouvoir produisent du Captagon, une drogue de synthèse à base d’amphétamines, exportée partout dans le monde et qui arrose plus particulièrement les pays du Golfe. Il s’agit pour le régime d’un moyen de gagner de l’argent, mais également d’un levier sur ses voisins pour obtenir des avantages en échange de l’arrêt de la production ou de la diffusion du Captagon. Damas mise sur cet avantage majeur dans les négociations pour sa réhabilitation au sein du monde arabe.
Au-delà de ces objectifs, les Émirats souhaitent stabiliser la région pour profiter de la relance économique. Le pays a souffert de la pandémie. Un rapprochement avec Damas signifierait des opportunités d’investissement dans un pays ravagé par la guerre. Pour cela, MBZ souhaite voir la région retrouver le climat qui régnait avant les révolutions arabes : des pays dirigés par des autorités farouchement hostiles aux Frères musulmans, autoritaires et favorables aux émiratis, à l’instar de l’Égypte d’Al-Sissi.